21 janvier, 2016
Le « métier de motard » : une autre manière de gagner sa vie en Haïti
Depuis plus d’une décennie, le nombre de taxis-motos augmente à une vitesse vertigineuse en Haïti. En 2012, d’après le directeur du Service de la circulation des véhicules et de la Police routière, Will DIMANCHE, le nombre de motocyclettes destinées au taxi s’estimait déjà à 500 000. C’est une nouvelle catégorie d’activité génératrice de revenus. Cette catégorie entre dans le cadre d’une expansion poussée de l’économie dite informelle qui offre près de 69.5 % d’emplois dans des villes secondaires du pays et plus de 77 % dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, lit-on dans un rapport publié en 2014 par le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) de concert avec l’Institut haïtien de Statistiques et d’Informatiques (IHSI). Le métier de motard, nous semble-t-il, à son sexe, mais aussi ses réalités propres.
Le métier est plutôt masculin, dans la mesure où les femmes ne l’exercent pas vraiment, en dépit du fait que le secteur informel en général y est majoritairement féminin (75 % de femmes contre 38 % des hommes selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement – PNUD). Il faut préciser que cette catégorie est très compétitive par rapport aux autres moyens de transport (bus, minibus, camionnettes, etc.), car, pour l’essentiel, les motards ne se laissent pas bloquer dans les bouchons qui font finalement partie du quotidien de la zone métropolitaine et occasionnant parfois des inconvénients allant jusqu’à rater son rendez-vous avec son ami, patron ou son médecin, voire louper son vol. Et quand on est pressé, un taxi-moto est la solution…
Des catégories de motards
Il n’y a pas une homogénéité parfaite au niveau des motards quant au mode d’accès au véhicule. Certains sont propriétaires de leurs motocyclettes et n’ont donc de comptes à rendre à personne. D’autres passent des contrats avec des propriétaires de façon parfois formelle parfois informelle. Dans le cas d’un contrat formel, l’État reconnait le contrat. Quand c’est informel, c’est la confiance qui prévaut. Un motard de la rue Aral de Tabarrenous révèle une autre catégorie de motards : les motards qui fonctionnent avec des motos qui n’appartiennent ni à eux ni aux personnes qui les leur ont passées. « Moto apa pou mwen, e li pa pou mounki ban m travayak li a non plis ». Dans ce dernier cas, le motard se doit d’excéder le tarif journalier de 250 gourdes généralement requises par le propriétaire si l’on en croit Osner, un autre motard de Tabarre.
À quels moments de la journée les choses sont-elles roses ? Combien peut-on gagner pour une journée de travail ?
Interviewant des motards de ce circuit, on comprend sans grande surprise que leurs heures de pointe partent d’abord de 4 heures du matin jusqu’à 9 h. Car, c’est à ces heures que des gens vont à l’école, à l’université, au travail, etc. Ensuite, de 12heures PM jusqu’à 1heure PM, ils vont aller ou revenir de l’école, de l’université. Enfin, vers les 4 h et 5 h de l’après-midi, ils reviennent du travail, de l’école, de l’université. Les marchands (es) du Centre-ville par exemple laissent le marché pour rentrer chez eux. Les ouvriers de la Société nationale des Parcs industriels (SONAPI) font de même aussi. Donc, un motard avisé ne rate jamais ces occasions pour gagner quelques gourdes en plus, afin de bien commencer et bien finir sa journée de travail.
En général, les saisons festives (le mois de décembre surtout) ou les saisons pluvieuses occasionnent des sous en plus pour les motards, car les circonstances environnementales et/ou sociales obligent des gens à prendre un taxi-moto pour se déplacer au lieu de faire la route à pieds. « Lè se mwadesanm, m ka fè 1500 goud (l’équivalent de 26 $ USD) pa jou pa egzanp », a déclaré Carmelo. « Men òdinèman m fè 750 (soit près de $13 USD) goud pa jou », a-t-il déclaré.
Carmélo, un chauffeur faisant les rues de Tabarre, estime que le métier de taxi-moto à lui seul ne peut pas lui permettre de répondre à tous ses besoins et à ceux de sa famille de cinq (5) enfants. « Moto a sélman patap janm ka fè m jere fanmi m, menm manje li patap ka fè m manje byen alewè voye timoun lekòl », a déclaré-t-il déclaré avec un air plutôt jovial. Les enfants de Carmélo fréquentent tous des écoles privées. Et c’est pourquoi il travaille la nuit comme agent de sécurité dans une entreprise de la capitale depuis 20 ans. L’ainé fréquente déjà une université privée de la capitale. Mais, fort heureusement, la moto lui appartient.
Cette nouvelle catégorie d’activité est confrontée à toutes sortes de difficultés. Ils disent ne pas avoir accès au crédit quand ils ont des difficultés, même lorsqu’ils voudraient aller de l’avant dans leur vie. De plus, certains d’entre eux, à l’instar de Camelo, sont obligés de mener plusieurs activités à la fois pour satisfaire leurs besoins et ceux de leur famille.
Il est fondamental de signaler qu’il existe une solidarité incroyable entre les motards, du moins entre les motards de rue Aral de Tabarre. Le circuit a un président. En cas d’accident d’un motard du circuit par exemple, le président et tous les motards se doivent de porter leur contribution si besoin est, a-t-on appris. Lors d’un événement marquant la vie d’un motard (anniversaire, mariage, la mort…), les autres savent faire des défilés, marquer leur présence dans l’activité en question d’une manière ou d’une autre. Une gerbe de fleurs, une couronne ou une aide financière peut être offerte au motard ou à sa famille selon la circonstance.
En dépit du fait que les motards sont vivement critiqués quand les noms de leurs pairs sont cités dans des cas de malversations, il faut reconnaitre que l’activité « taxi-moto » aide une partie de la population à sortir de la frustration, du spectre du chômage et de la pauvreté. Reste à l’État d’articuler des politiques visant à formaliser cette activité génératrice de revenus.
Harrios CLERVEAUX
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